03-12-2019

Faut-il interdire aux étudiants de prendre des notes avec un ordinateur ?

Caroline Huron, Chargée de recherche à l’Inserm, Présidente du Cartable Fantastique :


En 2014, deux chercheurs américains ont comparé l’efficacité de la prise de notes d’étudiants lorsqu’ils écrivaient à la main et lorsqu’ils tapaient à l’ordinateur (1). En concluant que l’écriture manuscrite était plus efficace que la frappe au clavier, ils ont déclenché une vague d’interdiction de l’utilisation de l’ordinateur pour la prise de notes dans les universités, aux USA comme en France.
Pourtant, 5 ans plus tard, un article échouait à répliquer les résultats (2). Les auteurs écrivaient, qu’en l’état actuel des connaissances, il était pour le moins prématuré de conclure quoi que ce soit sur la supériorité de l’une ou l’autre des méthodes de prise de notes et que bannir les ordinateurs des amphithéâtres sur cet argument là était discutable.

En réalité, indépendamment du manque de robustesse des résultats de la première étude, transférer directement les conclusions de l’article à ce qui peut se passer lors de cours et d’examens à l’université est en soi un problème. En effet, dans les trois expériences relatées dans l’article, les étudiants sont face à une vidéo et non pas face à un enseignant. Les vidéos sont soit un TED de 15 minutes, soit une suite de vidéos d’un étudiant lisant sur un prompteur quatre textes de 7 minutes sans aucun rapport les uns avec les autres (sur les chauves-souris, le pain, les vaccins et la respiration). Les tests ont lieu soit 30 minutes après la fin de la vidéo, sans que les étudiants n’aient la possibilité de relire leurs notes, soit une semaine plus tard, en laissant les étudiants revoir leurs notes pendant 10 minutes juste avant le test.

Les résultats de cette étude ne disent donc pas grand-chose de l’impact qu’aurait la prise de notes sur ordinateur sur des résultats d’examen. A l’université, à la différence de ce qui est décrit dans ces expériences, les étudiants ne font pas qu’écouter passivement des cours lus sur un prompteur, les cours ne sont pas composés de séquences courtes sans rapport entre elles, et les concepts étudiés sont repris d’un cours à l’autre et retravaillés lors des séances de travaux dirigés. De la même façon, les conditions de passation des examens dans la vie réelle sont très éloignées de celles décrites dans cet article. Les partiels ont le plus souvent lieu plusieurs semaines après les cours. On peut aussi supposer que les révisions des étudiants durent plus de 10 minutes par cours et ne sont pas uniquement basées sur la relecture de leurs notes, méthode qui, pour le coup, a montré son manque d’efficacité. Transférer les résultats d’expériences en laboratoire dans la vie réelle est bien sûr possible mais cela nécessite un certain nombre de précautions méthodologiques qui n’ont pas été respectées dans ce cas.
Interdire les ordinateurs à tous les étudiants sur cette base semble d’autant plus périlleux que ces études comparent des moyennes. Rien n’empêche que certains étudiants présentent des profils différents et soient, au contraire des autres, plus aidés par une prise de notes via l’ordinateur que par une prise de notes manuelle.

C’est, par exemple le cas des étudiants qui n’ont pas d’autre choix que d’utiliser l’ordinateur en raison d’un handicap. Quelle déception de les voir revenir, tête basse, après leur premier cours à l’université parce qu’on leur a expliqué que pour mieux apprendre il fallait écrire à la main ! Quel dommage que des jeunes, devenus adultes, soient à nouveau stigmatisés, confrontés à une norme qui les oblige à aller voir leurs enseignants pour avoir l’autorisation d’utiliser leur ordinateur parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement !
Les étudiants d’université sont des adultes. Il est judicieux de leur rappeler que le cerveau n’est pas conçu pour faire deux tâches en même temps si ces deux tâches requièrent de l’attention. Et qu’en conséquence, répondre à ses mails ou consulter sa page Facebook, pendant un cours n’est pas une bonne idée. Au passage, ce n’est pas une bonne idée non plus de jouer à la bataille navale ou de discuter avec le voisin. Cela empêche d’écouter le cours et cela gêne les autres. Le « multitasking » et la distraction ne sont pas réservés à l’usage informatique. Mais une fois que ce travail d’information aura été fait, est-ce vraiment légitime d’interdire l’usage de l’ordinateur à TOUS les étudiants ? Ne peut-on pas leur faire confiance et leur laisser le choix de l’outil de prise de notes qui leur convient le mieux ?


(1) The Pen Is Mightier Than the Keyboard: Advantages of Longhand Over Laptop Note Taking. P A Mueller and D M Oppenheimer – Psychologica Science, 2014
(2) How much mightier is the pen than the keyboard for note-taking? A replication and extension of Mueller and Oppenheimer (2014). K Morehead, J Dunlosky, KA Rawson – Educational Psychology Review, 2019

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